quarta-feira, 6 de junho de 2012

Poéme I


Si froid que soit encore l'hiver
les jours brefs et les nuits longues,
le fier été vient à grand pas
qui de tristesse nous libère:
voici la saison nouvelle
les noisetiers font des chatons:
il n'est signe plus fidèle
_Ay, vale, vale millies_
Vous tous qui, ce printemps,
_si dixero, non satis est_
voulez de l'amour goûter le bonheur!

Les âmes fières, en tout assaut
qui por Amour elles affrontent,
auront pensée droite et pure:
«C'est ici qui victoire m'attend:
je veux gagner, que Dieu me donne
ce qui sied au seul Amour:
si tel est son bon plaisir,
le désastre est mon honneur.»
_Ay, vale, vale millies_
Vous tous qui pour aimer l'Amour,
_si dixero, non satis est_
d'un coeur patient, tentez l'aventure!

Pauvre femme, que farai-je?
Haïrai-je la fortune?
Ah! que j'ai regret de vivre!
je ne puis aimer ni laisser d'aimer.
Aventure et fortune de même
me sont cruelles: abandonnée
de moi-même et de tout être!
C'est injure à la nature!
_Ay, vale, vale millies_
Amis, laisser-vous attendrir
_si dixero, non satis est_
sur celle qu'Amour fait ainsi pleurer!

Hélas! je fus fière de l'Amour aussitôt
que je l'entendis nommer,
et je me fiai à sa libre puissance:
c'est de quoi tous me condamnent
amis ou étrangers, jeunes ou vieux,
que je servais de toutes mes forces,
bonne envers eux toujours,
appelant sur eux toute faveur d'Amour.
_Ay, vale, vale millies_
Amis, n'épargnez nul éffort,
_si dixero, non satis est_
si dur à vos yeux paraisse mon sort.

Ah! pauvrette, je ne puis me donner
la vie, non plus que la mort!
Ah! doux Seigneur, pourquoi faut-il
que ces gents me veulent ruiner?
Qu'ils vous laissent donc le soin
de me frapper pour mes fautes:
vous me fairez bonne justice,
et pour eux-mêmes ils n'auront nul dommage.
_Ay, valle, valle millies_
Ce n'est pas l'amour que je vous témoignez, mais la haine,
_si dixero, non satis est_
vous qui ne laissez pas le Seigneur agir.

Tout qu'ils se penchent, indiscrets, sur mon âme,
qui d'entre eux peut aimer l'Amour?
Mieux vaudrait por eux suivre le chemin libre,
où l'on apprend à vous connaître.
Ils prétendent vous aider en ma conduite,
ce dont, certes, il n'est pas besoin:
vous savez frapper ou absoudre
et nous mettre à l'epreuve de la claire vérité.
_Ay, vale, vale millies_
Amis, prenez le parti de Dieu,
_si dixero, non satis est_
qu'il rende justice ou qu'il tasse grâce!

Ah! Salomon sagement nous conseille
de ne point scruter les secrets
qui dépassent nos forces,
et de ne pas nous risquer
à recherche trop haute
pour nos débites atteintes
mais de laisser le bel Amour
nous lier ou nos rendre la liberté.
_Ay, vale, vale millies_
Vous qui, jusq'au sécret de cer amour,
_si dixero, non satis est_
d'un nouveau degré, montez chaque jour.

Les pensées de l'homme sont petites,
la puissance de Dieu les passe infiniment.
L'espirit divin seul est sage:
ne rendons qu'à lui cette louange,
et laissons-le porter sentence
de vindicte ou de pardon!
Il n'est oeuvre se lointaine
qu'elle ne paraisse devant ses yeux.
_Ay, vale, vale millies_
Âmes livreés toutes à l'amour
_si dixero, non satis est_
qui sauvez en tout plaire à son régard!

Que Dieu nous donne le sens nouveau
d'un amour plus libre et plus noble:
qu'en lui, notre vie renouvelée,
reçoive toute bénédiction;
que le goût nouveau donne vie nouvelle,
comme l'amour peut le donner dans sa pire fraîcheur,
l'amour est puissante et nouvelle récompense
de ceux dont la vie se renouvelle pour lui seul.
_Ay, vale, vale millies_
Vous qui nouvellement désirez connaître,
_si dixero, non satis est_
au printemps nouveau, le nouvel amour.

Hadewijch de Antuérpia
trad. de J.-B. Porion
Écrits Mystiques des Béguines
2ª edição, 2008, Point, col. Sagesses
pintura de Paulo Damião

Sem comentários: